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Archives : un aller sans retour

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Le RGASPI vient de mettre en ligne des archives françaises spoliées par les Nazis, saisies par les Soviétiques… et toujours à Moscou.

Par Sophie Cœuré

Lancé à l’initiative de l’administration du Président de la Fédération de Russie en 2011, le “Projet russo-allemand pour la numérisation des documents allemands conservés aux Archives de la Fédération de Russie”1 est une coopération entre les Archives fédérales russes, le ministère de la Défense de la Fédération de Russie, la Société historique russe et l’Institut historique allemand à Moscou, sous la direction scientifique des historiens Sergey Kudryashov et Matthias Uhl.

Comme l’indique d’ailleurs l’intitulé du projet en russe, il s’agit d’archives dénommées “trophées” par les Soviétiques eux-mêmes dès la fin de la Seconde guerre mondiale2. Ces documents provenaient des administrations du Reich, ou avaient été saisis une première fois par les Nazis dans l’Europe occupée. Ils ont été retrouvés par l’Armée rouge en 1945-1946, soit à Berlin, soit dans les dépôts d’évacuation à l’Est du Grand Reich. Le droit international de l’époque (convention de La Haye de 1907) légitimait la saisie des papiers de l’ennemi en temps de guerre. Une véritable “course aux archives” s’engagea de fait entre les Alliés. En revanche, le droit imposait de restituer les archives publiques ou privées spoliées par l’occupant nazi, ce que se refusèrent à faire les Soviétiques, qui centralisèrent en 1946 ces versements d’une nature très particulière dans une institution dédiée, secrète, et non intégrée au réseau des Archives centrales de l’URSS, les “Archives spéciales centrales d’État” (Tsentral’nyi gosudarstvennyi osobyi arkhiv TsGOA). En 1999, le TsGOA fut dissous et ses fonds intégrés aux Archives militaires d’État russe3

Dans les années 1950 et 1960, le tri et le classement de ces fonds, effectués selon une logique “opérationnelle” qui ne respectait nullement le principe de provenance, ont entraîné la dispersion de nombreux dossiers, répartis thématiquement entre les administrations intéressées : ministère des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Défense, Comité central du Parti, ou encore les Archives d’Etat qui recueillirent les documents provenant de l’émigration russe à Paris.

Ces dossiers qui n’étaient plus au TsGOA échappèrent donc aux procédures de restitution menées dans les années 1950-1970 par l’URSS en direction des démocraties populaires (RDA, Pologne) et dans les années 1990-2000 par la Fédération de Russie en direction de la France, de la Belgique, des Pays-Bas notamment. Quant aux archives du Troisième Reich, la Russie n’a jamais eu l’intention de les restituer.

Trois “collections”, dont la troisième seule contient des dossiers non allemands, ont été mises en ligne dans le cadre de ce projet qui doit se poursuivre jusqu’en 2018 :

  • Une collection d’archives allemandes de la Première Guerre mondiale (1910-1919) versées dans les années 1960 au ministère de la Défense (militaires, diplomatiques, intérieur) dont des journaux de marche, dossiers individuels, dossiers financiers, cartes et plans.
  • Une collection d’archives allemandes de la Seconde Guerre mondiale versées dans les années 1960 au ministère de la Défense, dont le commandement de la Wehrmacht, le haut-commandement suprême, le groupe d’armées “Centre” formé en URSS entre 1942 et 1945.
  • Enfin, une “collection de documents des services spéciaux allemands (1912-1945) conservés au RGASPI (fonds 458, op. 9)” où se trouvent ces dossiers étrangers4.

Sous cet intitulé, on trouve des dossiers versés dans un premier temps aux Archives spéciales (TsGOA), au ministère des Affaires étrangères (MID), ou au “secteur spécial” du Comité central du PCUS. Soulignons en effet que les Archives du parti (TsPA), qui formaient pourtant sous l’égide de l’Institut du marxisme-léninisme un réseau indépendant de la Direction des archives de l’URSS, ne recevaient pas les dossiers spéciaux du Comité central (osobye papki), contenant les informations sur la genèse des décisions, les discussions et les conflits préliminaires, la réception de telle ou telle résolution. Tous ces documents ont été progressivement versés à leur tour aux Archives du Parti. Depuis les années 1990 et la nationalisation des archives du Parti communiste, ils se trouvent au RGASPI (Archives d’État russes d’histoire sociale et politique).

Le fonds 458, opis 9 du RGASPI conserve ainsi des archives “trophées” européennes couvrant les années 1912-1945 et sélectionnées comme pouvant intéresser le Parti en fonction de leur thématique : Komintern, communisme, socialisme, mouvements de jeunesse et syndicats de gauche, Chine, mouvements anticoloniaux, etc. Ces dossiers (dont la description et l’indexation par noms de lieux et noms propres sont en russe) ont été numérisés feuille par feuille selon le classement initial et sont téléchargeables. On y trouvera :

Dossiers (Delo) 1 à 284 : Archives allemandes (RSHA, SD Hauptamt, Gestapo, direction de la police à Berlin, police de Leipzig, ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la Justice), dont de nombreux dossiers sur le PCF ;

Dossiers 285 à 344 : Archives autrichiennes (Chancellerie, archives du Front patriotique (Vaterländische Front), brochures et tracts du mouvement ouvrier ;

Dossiers 345 à 361 : Archives polonaises (Intérieur, diplomatie, police sur le mouvement communiste et ouvrier) ;

Dossiers 362 à 387 : Archives françaises. On y trouve les documents provenant des administrations spoliées en 1940-1944, mais qui n’ont pas été intégrés aux restitutions effectuées entre 1994 et 2005 sous l’égide du ministère des Affaires étrangères français5. Provenant essentiellement de la Sûreté générale et du 2e Bureau de l’État-major de l’Armée, ils sont très riches sur le Komintern et le PCF.

Dossiers 388 à 420 : Documentation en provenance des organisations communistes ou les concernant, provenant des archives du Parti ou de divers fonds du TsGOA.

Ces sources nouvelles complètent donc les fonds déjà disponibles sur le PCF et le mouvement communiste international, mais elles permettent aussi de reconstituer la genèse du regard allemand (et nazi) sur le PCF, réprimé pendant l’Occupation.

  1. http://www.germandocsinrussia.org/ru/nodes/1-rossiysko-germanskiy-proekt-po-otsifrovke-trofeynyh-kollektsiy
  2. S. Cœuré, La mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique de 1940 à nos jours, Paris, Payot, 2nd éd., 2013. P. K. Grimsted, F. J. Hoogewoud, E. Ketelaar (ed.), Returned from Russia: Nazi Archival Plunder in Western Europe and Recent Restitution Issues, 2nd éd., Leicester, 2013.
  3. http://www.iisg.nl/abb/rep/B-8.tab1.php
  4. http://rgaspi-458-9.germandocsinrussia.org/ru/nodes/1-kollektsiya-dokumentov-spetssluzhb-germanii-1912-1945-gg-rgaspi-fond-458-opis-9
  5. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/photos-videos-publications/archives-diplomatiques-3512/spoliations-et-autres-suites-de-la/archives-des-spoliations-et-des-11554/article/fonds-russes.

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